Invader à Amiens, une nouvelle invasion !
- Delphine & Romain CLASS
- 20 juin
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 juin
Ces derniers jours, les habitants d’Amiens ont eu la surprise de découvrir une quinzaine de petites mosaïques colorées discrètement installées sur les murs de la ville. Ce sont les œuvres d’Invader, artiste urbain français mondialement reconnu pour ses créations inspirées de l’univers pixelisé des jeux vidéo des années 80. Fidèle à son style, il a semé dans les rues amiénoises des figures composées de carreaux de céramique, représentant souvent les fameux extraterrestres du jeu Space Invaders, mais aussi quelques clins d’œil plus locaux ou inattendus. Ces installations, toujours réalisées de façon clandestine, transforment la ville en terrain de jeu artistique et viennent enrichir une œuvre globale qui dépasse aujourd’hui les 4 000 mosaïques réparties dans près de 80 villes à travers le monde.

Une esthétique rétro dans un décor historique
À Amiens, le contraste entre l’architecture ancienne, notamment la majestueuse cathédrale Notre-Dame, et l’esthétique numérique des œuvres d’Invader ne passe pas inaperçu. Le choix de cette ville, jusque-là absente du projet de l’artiste, marque une volonté d’élargir encore le périmètre de cette invasion artistique, en investissant des lieux à la fois emblématiques et inattendus. Certaines mosaïques ont été placées à proximité du quartier Saint-Leu, d’autres non loin de la gare ou de la Maison de Jules Verne, ajoutant ainsi une dimension narrative supplémentaire. Ces œuvres ne sont pas seulement des objets d’art, elles instaurent un dialogue entre passé et présent, patrimoine monumental et culture pop, art académique et expressions urbaines contemporaines. Loin d’être intrusives, elles deviennent de véritables clins d’œil à l’histoire locale, subtilement intégrés à l’environnement.
Une chasse au trésor numérique à ciel ouvert
L’objectif d’Invader n’est pas seulement esthétique : il propose aussi une expérience ludique et participative. Grâce à l’application FlashInvaders, disponible sur smartphone, les passants peuvent scanner les œuvres rencontrées dans l’espace public et cumuler des points dans une interface qui reprend les codes du jeu vidéo. Cette chasse au trésor urbaine fait appel à la curiosité des habitants et des touristes, qui sillonnent la ville à la recherche des mosaïques, parfois très visibles, parfois dissimulées dans des recoins plus secrets. À Amiens, les réseaux sociaux se sont vite enflammés : les premiers « flashs » ont été partagés dès les heures suivant la pose des mosaïques, et certains passionnés ont même organisé des parcours collectifs pour les repérer. La ville devient ainsi un tableau interactif, où chaque coin de rue peut révéler une surprise.
Un acte artistique hors des circuits officiels
Invader agit en dehors des institutions. Il ne demande aucune autorisation, installe ses œuvres dans l’anonymat, souvent de nuit, avec une précision quasi militaire. Chaque mosaïque est conçue à l’avance dans son atelier parisien, numérotée, documentée, puis posée en quelques minutes à l’aide d’une colle ultra-forte. L’artiste revendique un art libre, éphémère, et souvent menacé. En effet, certaines de ses œuvres sont arrachées ou volées, vidant leur emplacement de sens et retirant à l’œuvre sa valeur contextuelle. Il alerte régulièrement contre les tentatives de récupération marchande : une œuvre retirée de son mur perd sa fonction, sa poésie et son authenticité. Pour Invader, la ville est à la fois un support, un décor et un partenaire : toute tentative d’extraction tue l’œuvre. Victimes de leurs succès, il existe énormément de fausses œuvres d’Invader vendues dans les galeries en ligne, et surtout aux enchères. C’est d’autant plus valable pour les kits d’invasion, des mosaïques éditées à 200 exemplaires en moyenne, et destinées à être collées chez eux par tous ses fans. Invader en a créé une vingtaine de 2000 à 2018. Pour plus d’informations sur les kits d’invasion, www.invader-kits.com.

Biographie d’un artiste masqué
Derrière le pseudonyme d’Invader se cache un artiste français né en 1969, diplômé de l’École des Beaux-Arts de Paris. Son identité exacte reste secrète, mais son travail est désormais exposé dans les plus grands musées d’art contemporain. Il commence son projet Space Invaders en 1998 à Paris, avec l’idée d’infiltrer les villes du monde entier avec ses mosaïques inspirées des premiers jeux vidéo d’arcade. Son œuvre est à la croisée du street art, du pixel art et de la performance. Loin de se limiter à Paris, Invader a envahi des métropoles comme Tokyo, New York, Londres, Los Angeles, Hong Kong, Rome ou encore Dakar. L’artiste développe également des expositions en galerie, des éditions limitées, des sculptures et des vidéos, mais son projet d’invasion reste le cœur de sa démarche. À travers lui, il questionne la place de l’art dans la ville, la possibilité d’un regard poétique sur le quotidien, et la manière dont une œuvre peut se fondre dans le tissu urbain tout en le révélant.
Un langage visuel universel et des références locales
Le pixel, langage visuel universel hérité de la culture numérique, est devenu son alphabet plastique. À travers ses mosaïques, Invader joue sur l’enfance, la nostalgie, mais aussi sur la géopolitique des villes : il investit aussi bien les capitales que les villes moyennes, les zones touristiques que les quartiers populaires. Chaque œuvre est unique, pensée pour son lieu d’accueil, parfois en lien avec la culture locale, parfois simplement pour surprendre. À Amiens, certains y ont vu des références au roman de science-fiction – clin d’œil indirect à Jules Verne, figure emblématique de la ville – ou à la science et à l’exploration spatiale. D’autres mosaïques semblent plus abstraites ou décoratives, jouant simplement avec les couleurs et les formes. Cette diversité renforce la curiosité et l’effet de surprise.
Avant Amiens : Orléans et le Pays basque dans le viseur
Cette invasion amiénoise s’inscrit dans une dynamique plus large. En Mars 2025, Invader avait déjà frappé à Orléans, où il avait disséminé une vingtaine d’œuvres dans des lieux emblématiques de la ville, comme la place du Martroi, les quais de Loire ou les abords de la cathédrale Sainte-Croix. Là encore, il avait joué avec les codes locaux : certaines mosaïques représentaient Jeanne d’Arc en version 8-bit, d’autres rendaient hommage à l’histoire médiévale de la ville. De même, en Novembre 2024, plusieurs interventions ont eu lieu au Pays basque, notamment à Biarritz, Bayonne, Saint-Jean-de-Luz ou encore Guéthary. Ces mosaïques, parfois inspirées de l’univers marin, du surf ou du fronton basque, viennent colorer les façades océanes et offrir un dialogue inattendu entre tradition régionale et culture pixelisée. L’une d’elles, à Anglet, figure une planche de surf stylisée en pixels, preuve que l’artiste sait aussi faire vibrer son langage visuel au rythme des identités locales.

Une œuvre mondiale en perpétuel mouvement
Avec Amiens, Orléans, le Pays basque et bien d’autres villes, Invader poursuit son projet ambitieux d’invasion artistique à l’échelle mondiale. Chaque mosaïque posée est une pièce de ce puzzle global, à la fois discret et monumental. L’artiste, toujours masqué, laisse derrière lui des traces lumineuses, joueuses, poétiques. À travers ses œuvres, il réinvente notre rapport à l’espace urbain, transforme le quotidien en terrain d’observation, et invite chacun à ouvrir les yeux sur la beauté qui surgit là où on ne l’attendait pas. Son art, libre, gratuit, insaisissable, agit comme une respiration dans nos paysages figés. Il nous rappelle que, même sur un mur de brique ordinaire, peut apparaître un pixel venu d’ailleurs, porteur d’un message simple : l’art est partout, pourvu qu’on veuille bien le voir.
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