« Adventice » de JR, une œuvre à 10 000 mains !
- Delphine & Romain CLASS
- 25 juil.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 juil.
C’est un événement que la ville attendait depuis sept ans : la réouverture du Carré Sainte-Anne, haut lieu de l’art contemporain niché au cœur de l’écusson montpelliérain. Pour célébrer cette renaissance, la Ville a confié la première exposition à JR, artiste contemporain de renommée internationale connu pour ses installations monumentales engagées. Avec « Adventice », il signe une œuvre immersive, participative et profondément symbolique qui redonne souffle et sens à cet ancien lieu de culte transformé en cathédrale artistique.

Une réouverture attendue : Sainte-Anne retrouve la lumière
Le Carré Sainte-Anne, ancienne église néogothique édifiée à la fin du XIXe siècle, avait fermé ses portes en 2018 pour une restauration intégrale. Pendant sept années, les travaux ont permis de consolider l’édifice, moderniser ses infrastructures, et restaurer les fresques, les vitraux et les voûtes. Le sol de la nef accueille désormais un parquet chauffant, les accès ont été rendus entièrement PMR, et une scénographie sobre a été pensée pour accueillir des expositions ambitieuses.
Avec ses 700 m² d’espaces d’exposition baignés de lumière, le Carré Sainte-Anne se positionne comme l’un des plus beaux lieux d’art contemporain du sud de la France. Sa réouverture est un signal fort pour la politique culturelle de la ville, qui ambitionne de renforcer son attractivité artistique et son rayonnement international.
Adventice : une œuvre organique, vivante, évolutive
Au cœur de cette renaissance, l’œuvre Adventice propose une expérience saisissante : un arbre monumental suspendu dans la nef centrale, dont les branches sont faites de plus de 10 000 empreintes de mains scannées, venues du monde entier. Chaque main est unique, mais ensemble, elles forment un tout solidaire, puissant et silencieux.
Le mot « adventice » désigne en botanique une plante qui pousse là où elle n’a pas été semée – souvent perçue comme indésirable, voire nuisible. JR détourne ici ce terme pour en faire un emblème de présence, de migration, d’enracinement inattendu mais fertile. L’installation devient une allégorie contemporaine des circulations humaines, des brassages identitaires et de la richesse du multiple.
Un projet participatif, inclusif et en perpétuelle évolution
Ce qui fait la force d’Adventice, c’est aussi sa dimension participative : JR a souhaité que l’œuvre continue de grandir pendant toute la durée de l’exposition. Depuis plusieurs mois, des dispositifs de scan ont été installés dans l’espace public (mairies de quartier, écoles, médiathèques, gares…) afin de permettre à toutes et tous de participer. Les visiteurs peuvent aussi scanner leur main sur place, au Carré Sainte-Anne, et voir leur empreinte rejoindre l’arbre de la nef, quelques jours plus tard.
Plus de 15 000 empreintes sont attendues d’ici décembre. Chacune est transformée en une pièce sculptée en bois ou en matériau composite léger, puis accrochée avec minutie dans l’espace, donnant à l’arbre une croissance organique, lente et collective.
Cinq œuvres satellites : le langage des matières
En complément de l’installation centrale, cinq œuvres inédites sont exposées dans les chapelles latérales et le chœur. Réalisées en bois brûlé, papier et verre, elles interrogent la trace, la mémoire, la matière. Certaines s’inspirent de documents d’identité, d’empreintes digitales, de cartes migratoires. D’autres évoquent des cicatrices ou des cernes d’arbre.
Loin de la monumentalité de l’arbre, ces œuvres offrent un dialogue plus intime avec le visiteur : elles révèlent la poétique discrète de l’identité, la porosité entre l’individuel et le collectif, entre la blessure et la beauté. On y retrouve le style de JR : minimaliste, brut, mais porteur de résonances universelles.

Un enracinement local, une portée universelle
Montpellier n’a pas été choisie au hasard. Ville carrefour, ouverte sur la Méditerranée, dotée du plus ancien jardin botanique de France et d’une tradition d’hospitalité intellectuelle et médicale, elle incarne cette idée de croisement des flux humains et végétaux.
L’histoire du jardin des plantes, par exemple, rappelle que des graines exotiques y sont arrivées accidentellement dans les ballots de tissus lavés dans le Lez. De simples « adventices » qui, avec le temps, ont enrichi la biodiversité locale. JR transpose cette idée dans le champ social et politique : les présences inattendues, les identités « déplacées », loin de déraciner, peuvent nourrir et transformer.
Un message humaniste et poétique, loin du spectaculaire
Contrairement à certaines œuvres de JR plus médiatiques (comme le collage sur la pyramide du Louvre ou le trompe-l’œil de la frontière américano-mexicaine), Adventice ne cherche pas l’effet choc. Ici, l’artiste adopte une posture d’écoute, d’humilité, presque de recueillement.
Dans cet ancien lieu de culte, la dimension spirituelle affleure : les mains suspendues prennent des airs d’ex-voto contemporains, l’arbre évoque la vie, le souvenir, la paix. L’exposition ne donne pas de leçons : elle invite à la contemplation, à la réflexion sur la communauté humaine et l’importance de chaque présence.
Une œuvre qui résonne dans le temps
Adventice est une œuvre à la croisée des mémoires, où l’individuel rejoint le collectif, et où le local s’ouvre à l’universel. Elle marque la renaissance du Carré Sainte-Anne, mais aussi un nouveau souffle pour l’art contemporain à Montpellier, qui veut s’affirmer comme une ville de création, d’innovation et de dialogue.
Pari réussi : JR offre ici une œuvre douce, puissante, sensible, qui touchera les enfants comme les adultes, les initiés comme les simples curieux. Un arbre pousse sous les voûtes de Sainte-Anne – et avec lui, une forêt d’espoirs silencieux.
À propos de JR, l’artiste des visages du monde
JR, né en 1983 à Paris, est un artiste français dont le travail se situe à la croisée de la photographie, du street art, du cinéma et de l’engagement social. Il commence sa carrière en collant des portraits en noir et blanc sur les murs de banlieues parisiennes, avant de devenir l’un des artistes contemporains les plus influents de sa génération.

Revendiquant une approche « artiviste », JR se distingue par ses collages monumentaux de visages anonymes, souvent exposés dans l’espace public sans autorisation, dans une volonté de rendre l’art accessible à tous. Il a notamment travaillé dans les favelas de Rio, les bidonvilles de Nairobi, les camps de réfugiés palestiniens, les murs de séparation israéliens, ou encore les façades de musées iconiques comme le Palais de Tokyo ou le Guggenheim.
Son projet "Portrait d’une génération" (2004–2006) dans les quartiers sensibles de Clichy-sous-Bois ou Montfermeil attire pour la première fois l’attention du grand public et des médias.
Des projets universels et participatifs
En 2011, il remporte le TED Prize et lance le projet Inside Out, une plateforme mondiale de portraits participatifs qui a rassemblé plus de 500 000 personnes dans 149 pays. Il y invite les gens à partager leur message et leur visage à travers de grands tirages photographiques collés dans l’espace public.
Parmi ses projets marquants :
-"Women Are Heroes" (2008-2011) : hommage aux femmes dans des zones de conflit
-"Face 2 Face" (2007) : portraits d’Israéliens et de Palestiniens collés face à face sur le mur de séparation
-Installation sur la pyramide du Louvre (2016 et 2019)
-Collage sur le Panthéon (2021)
-Installation sur la frontière américano-mexicaine (2017), transformant une barrière en pont visuel
JR cinéaste et auteur
JR est aussi réalisateur. En 2017, il co-réalise avec Agnès Varda le documentaire "Visages Villages", qui obtient l’Œil d’or à Cannes et une nomination à l’Oscar du meilleur documentaire. Il poursuit avec Paper & Glue (2021), un documentaire autobiographique sur ses projets et sa démarche artistique.
Une œuvre humaniste et engagée
Porté par un souci de justice sociale, de visibilité des invisibles et de poétique de la mémoire, JR se définit comme un témoignageur : « Je ne fais pas parler les gens, je leur donne un visage. » Son œuvre se déploie entre l’intime et le monumental, entre l’esthétique et l’éthique, toujours dans un souci de créer du lien, du regard, du sens.
JR aujourd’hui
Installé entre Paris et New York, JR continue de mener des projets artistiques collaboratifs aux quatre coins du monde. Son exposition Adventice, présentée à Montpellier, s’inscrit dans la continuité de sa démarche : créer de grandes œuvres à partir de milliers d’histoires individuelles, dans un geste artistique profondément collectif et humaniste.
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