Vraie fausse collaboration entre SLAWN et KAWS
- Delphine & Romain CLASS
- il y a 5 jours
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En août 2025, une image énigmatique partagée sur Instagram par l’artiste nigérian Slawn (Olaolu Akeredolu‑Ale) a déclenché un séisme dans le monde de l’art contemporain. Face à une sculpture visuellement inspirée de l’iconique Companion de KAWS, la légende « Slawn x KAWS, an ode to one of the greatest » a laissé nombre de médias et de critiques penser qu’une collaboration officielle était en cours. Mais le silence de KAWS fut bref : quelques heures plus tard, l’artiste américain intervenait sur son compte Instagram pour déclarer fermement qu’il « n’avait rien à voir » avec cette opération.
Ce geste orchestré par Slawn — mi-hommage, mi-manipulation — ouvre un espace d’analyse riche : entre provocation artistique, critique du système, mécanique du buzz et question de la propriété artistique.

Kaws
Brian Donnelly, né le 4 novembre 1974 à Jersey City, New Jersey, est un artiste pop art américain mondialement reconnu sous le nom de KAWS. D’abord étudiant à la School of Visual Arts de New York (1996, illustration), KAWS a travaillé pour des séries animées puis dans les années 1990, il se lance dans le graffiti nocturne, détournant des publicités urbaines (bus, abribus) en les taguant. Il crée ensuite ses personnages emblématiques : Companion (1999), Accomplice, Chum, Bendy, souvent inspirés de Mickey Mouse ou des Simpsons, redessinés avec des croix aux yeux. Ses sculptures varient du petit format (figuyrines) aux œuvres monumentales et ont été exposées dans des musées internationaux. En 2019, sa peinture THE KAWS ALBUM (2005) atteignait 14,7 millions de $ lors d’une vente aux enchères chez Sotheby's à Hong Kong, record confirmé comme l’un des sommets de l’art contemporain vivant. KAWS a collaboré avec des marques de renom : UNIQLO, Supreme, Nike Air Jordan, Hennessy, Comme des Garçons, Travis Scott, BTS (J‑Hope), Brooklyn Nets (maillots 2023‑24)…
Slawn
Né le 24 octobre 2000 au Nigeria, Slawn possède une double nationalité nigériane et britannique. Diplômé en design graphique de la Middlesex University à Londres, il a commencé à peindre pour la première fois pendant la pandémie, autofinancé par des commandes de skatewear et de streetwear. En 2021, il débute son exposition solo à la Truman Brewery, Brick Lane, où il se fait rapidement remarquer par sa gestuelle visuelle spontanée, reflet d’un mélange entre graffiti impulsif et caricature pop, grande bouche rouge et visages répétitifs. En 2023, il devient le plus jeune artiste à créer le trophée des BRIT Awards, et collabore avec Louis Vuitton, Rolex, Converse, et revoit le design de la FA Cup. Son approche est assumée comme anti‑artistique : « I’m not an artist, I paint like a 6 year old », dit-il dans sa bio Instagram. Sa démarche est crue, directe, provocatrice, parfois politiquement incorrecte, portée par une forte présence sur les réseaux sociaux (plusieurs centaines de milliers de followers).

À l’été 2025, le post de Slawn affichant une sculpture fusion de ses personnages et de Companion, accompagnée du hashtag implicite d’une collaboration, provoque un emballement immédiat sur Instagram, Twitter, blogs artistiques et net-art communities. Mais KAWS intervient via ses comptes officiels : « I have nothing to do with this. This is misleading! », exigeant que son nom ne soit pas associé à ces pièces. L’artiste souligne qu’il n’y a eu aucun contrat, aucune autorisation. La dissociation est claire et rapide. Slawn, de son côté, assume le geste comme une provocation conçue pour tester les réactions du marché et du public.
Hommage ou imposture ?
Slawn revendique son geste comme une mise en scène hommagiale. Mais les critiques de médias spécialisés pointent le flou entre hommage et plagiat visuel, soulignant que ses mash‑ups reprennent directement les codes du Companion sans création originale autonome. KAWS, de son côté, a lui-même construit un univers inspiré du commercial, mais toujours revisité dans une logique d’appropriation distanciée : ses œuvres sont des reprises de Mickey ou des Simpson, repensées de manière conceptuelle. Slawn, au contraire, semble assembler ces univers pour susciter l’illusion d’une collaboration.
Recours au storytelling et au buzz
Slawn sait manier le récit : dénoncé comme « con artist », porteur d’une posture wild, il crée des événements viraux (fight clubs, cadeaux d’art, interventions urbaines), transformant la performance d’artiste en contenu narratif. Ce post Instagram aboutit à des débats, articles et reposts avant même que KAWS n’intervienne : le contenu devient œuvre, la controverse devient spectacle.
Tensions autour de l’authenticité
Certains collectionneurs et commentateurs dénoncent une stratégie opportuniste : brouiller les frontières nuit à la confiance sur le marché. Un faux projet, même assumé, pose problème dans un contexte où authenticité et provenance sont clés.
D’autres perçoivent un geste conceptuel : Slawn interroge la superficialité de l’industrie de l’art, son obsession pour le marqueur de valeur plutôt que l’intention, l’origine ou la technique.
La côte toujours plus élevée des œuvres du street artiste pop art Kaws, quelles qu’elles soient, y compris ses figurines Art Toys, en ont fait un des artistes les plus copié de ces 10 dernières années. Il y a énormément de faux Kaws sur le marché, bien sur surtout sur des marchands en ligne, mais aussi dans des ventes aux enchères prestigieuses. Il convient donc d’être particulièrement prudent avant d’acheter … La première vérification, par exemple, en ce qui concerne ses petites sculptures, ou figurines, c’est de s’assurer qu’elles sont vendues avec un emballage d’origine.

A lire sur notre blog : comment authentifier une œuvre d'art ?
Le contexte plus large du marché de l’art
KAWS est devenu un symbole du glissement de l’art de rue vers le marché global : ses figurines en vinyle, Companion, Chum, BFF, ont généré des millions, ses imprimés à édition limitée se vendent à prix record, attirant les collectionneurs et les riches marchés asiatiques et occidentaux particulièrement enclins à la spéculation.
Slawn, quant à lui, incarne l’artiste du social media era, où l’image personnelle et le storytelling remplacent l’institution. Il vend des dessins, des toiles, crée une communauté autour de ses cafés, de ses interventions spontanées. Il incarne le Young British Artist 2.0 : provocateur, médiatique, hybride entre art et marque personnelle.
Implications pour le droit de la propriété intellectuelle
Slawn exploite visuellement les figures de KAWS sans autorisation : un geste potentiellement litigieux du point de vue du droit d’auteur et de la marque. Pourtant, il en revendique la dimension subversive : un acte volontairement ambigu. KAWS réagit vite pour protéger son nom, soulignant l’importance du contrôle de l’image dans un marché où chaque association peut avoir une valeur commerciale énorme.
Cette affaire dépasse amplement le simple buzz : elle manifeste un questionnement fondamental sur la nature du partenariat artistique au XXIᵉ siècle, sur l’authenticité narrative dans un monde où tout peut être mis en scène, et sur la frontière entre hommage et appropriation. KAWS continue de représenter l’art contemporain globalisé, institutionnalisé, mais marqué par son origine de rue et son sens aigu du branding. Slawn, lui, incarne la posture anarchique, internet-native, capable de faire de l’inattention volontaire un outil de visibilité et de critique du marché.
À travers ce faux projet assumé, Slawn interroge non seulement la valeur des objets d’art, mais surtout la manière dont une société consomme et valide l’art : par le récit, l’exposition, l’apparence — ou simplement l’illusion d’un partenariat prestigieux plus que par un contenu proprement artistique.
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